Je suivit mon instinct et me dirigea vers cette cathédrale.
Une fois à l'intérieur, la grande salle était vide. L'heure de la messe était passé et la prochaine était pour dans longtemps. J'avançai jusque devant l'hotel et posa un genoux à terre en joignant mes mains pour adresse une petite prière au dieu de ces lieux sacrés.
- Une guerrière aussi jeune que vous n'aurait-elle pas l'esprit tranquille?
Je me releva et fixa l'individu qui venait d'entrer par une porte de service. Sa barbe grisonnante descendante jusqu'à son ventre contrastait avec son crâne totalement chauve.
Je lui adressa un regard interrogateur. Pourquoi n'aurais-je pas le droit de prier pour ce dieu moi aussi?
- Ce que je veux dire, rajouta le prêtre en souriant, c'est qu'il n'est pas commun de voir des aventuriers de grand chemin – et encore moins une femme – venir s'adresser à dieu. A moins qu'il n'ait quelques reproches.
Je croisa les bras et lui fit comprendre que je n'avais rien à me faire pardonner. Le prêtre se mit à rire et il m'invita à boire quelque chose dans son petit salon privé.
Nous entrâmes dans une petite pièce assez coquette, couverte de tapis et de tissus aux couleurs pourpres. Le prêtre me donna une tasse de thé et me fit asseoir dans l'un de ses fauteuils.
- Alors? Que me vaut l'honneur de votre visite?
Ses questions m'intriguaient beaucoup. Comment pouvait-il savoir que je ne venais pas pour prier? Face à mon air méfiant, il souriait et s'adossa confortablement contre le dossier de son fauteuil.
- Je ne pense pas que vous vénérez un quelconque dieu, vous qui semblait être une femme de science ... A vos accoutrement, je dirais que vous n'êtes pas du pays. Et par ce que j'en crois en voyant une dent de dragon attaché autour de votre cou, ainsi qu'une bague sertis d'un précieux joyaux qui appartenait à un grand roi qui est mort sous le joug d'un dragon, vous devez beaucoup les côtoyer non?
Ce prêtre avait un sens de l'observation étonnant. Et lui aussi semblait posséder quelques savoirs sur les dragons.
Je le pria de me faire part de tout ce qu'il savait sur ces bêtes fabuleuses et il me raconta ceci.
- " Si dans l'Antiquité le dragon était considéré comme un animal réel, bien qu'exotique – à la manière du crocodile, de l'hippopotame ou de l'éléphant -, notre époque confère à l'animal son caractère fabuleux.
Ainsi, un auteur du XIIIe siècle, Wirnt de Grafenberg, offre cette description extraordinaire: « Sa tête était énorme, noire et velue, sauf son bec, qui mesurait un empan de long et bien une aune de large, était pointu et coupant comme un fier d'épieu fraichement aiguisé. Dans sa gueule, il avait de longues dents semblables à celles des porcs. Il était entièrement couvert d'écailles de cornes, de la tête à la queue, une crête tranchante comme en ont les crocodiles qui s'en serve nous couler les navires. (...) Son ventre était aussi vert que l'herbe, ses yeux rouges, ses flans jaunes, son corps, à son extrémité, rond comme un cierge, sa crête tranchante avait la couleur du sable et ses oreilles ressemblaient à celle d'une mule. Son haleine à l'odeur de pourriture puait plus que la charogne exposée au soleil ... »
La présence de dragons dans un pays s'accompagne toujours de phénomènes de corruption et de pollution. Les rivières dans lesquelles ils se baignent voient leurs eaux empoisonnées à jamais. S'ils battent la surface de l'onde avec leur queue, des crues se produisent. Ailleurs, les dragons allument des incendies dans les moissons par leur souffle embrasé ou déciment le bétail. Traditionnellement, le vol des dragons en plein ciel est toujours un signe annonciateur de catastrophe terrible telle que des guerres, périodes de famine ou épidémie de maladies. Si le vol avait lieu en plein jour et si le dragon poussait des cris stridents, l'alerte n'en était que plus urgente.
Ainsi, un dragon ailé survola un jour la ville de Sanctogoarin, au bord du Rhin. A peine eut-il disparu à l'horizon qu'un incendie se déclara et détruisit le bourg de fond en comble.
De même en 793, plusieurs dragons sillonnèrent le ciel au-dessus de l'îlot de Lindisfarne, au large de la côte est de l'Angleterre, où se trouvait le monastère de Saint-Cuthbert.
La Chronique anglo-saxonne rapporte l'incident et le relie à l'invasion des Vikings, à bords de leurs drakkars aux figures de proue sculptées en forme de tête de dragon, sur les côtes anglaises: « Peu après, au sixièmes jour précédent les ides de janvier, des païens détruisirent l'église de Dieu à Lindisfarne, massacrant et pillant. » "
Le prêtre marqua une pause et me regarda droit dans les yeux.
- Je ne peux rien vous faire car vous ne vénérez pas le dieu de ma maison. Mais si le seigneur vous a guidé jusqu'ici, c'est pour vous mettre en garde: les dragons sont semblables aux démons. Les fréquenter serait très dangereux pour vous et il serait regrettable que vous perdiez votre âme.
Le prêtre m'accompagna à la sortie et il me sera la main avant de me souhaiter un bon voyage.
En tout cas, me voilà fixée: la sainte Église ne tolère pas le dragon. Pauvre créature ... Je me demande comment a-t-elle fait pour se retrouver sous le courroux d'un dieu.
Encore des questions sans réponses qui tourmentent mon esprit. En espérant de pouvoir en découvrir les réponses, je continuai mon chemin vers la tour des mages.